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83c7162d XL |
1 | Zanette, c'était son nom de Jeanne, de Jeannette, comme elle le |
2 | prononçait en zézayant, lorsqu'elle était toute petite. Tel il lui était | |
3 | resté. Ce qui, aussi, lui était resté, c'était sa grâce d'enfance, on ne | |
4 | sait quoi de tout mignon, de plus jeune qu'elle-même. Elle était belle | |
5 | de ses beaux seize ans, de son profil de Grecque, et de ses cheveux | |
6 | noirs, qui, sous le hennin à l'arlésienne, pendaient lourdement sur la | |
7 | blancheur dorée de son cou. | |
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9 | Elle avait seize ans avec l'air d'en avoir douze. Pourtant, on sentait | |
10 | la vie jeune et forte palpiter dans la chapelle, c'est-à-dire dans | |
11 | l'entre-bâillement des fichus aux plis innombrables, qui laissent voir | |
12 | un peu de la poitrine nue sur laquelle brille la croix d'or suspendue à | |
13 | la chaînette des grand'mères. | |
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15 | Zanette vivait à la ferme de la Sirène, bien tranquille à soigner ses | |
16 | poules, ses lapins, auprès de son père, maître Augias, le bayle. À | |
17 | l'ordinaire elle allait en Arles tous les dimanches. | |
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19 | Et bien souvent, assise au bord du Petit Rhône, seule, sous les saules | |
20 | et les aubes, elle rêvait en regardant l'eau, l'eau qui s'en allait vers | |
21 | la mer, vers la mer si grande, où des bateaux vont et viennent, comme | |
22 | des bêtes de rêve, comme de grands oiseaux aux ailes blanches.... Un | |
23 | songe d'inconnu accompagnait toujours Zanette. Ses beaux seize ans | |
24 | espéraient. | |
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26 | ...N'est-ce pas qu'elle porte un joli nom, la ferme de la Sirène? La | |
27 | Sirène (la Sereno) si vous interrogez les paysans, ils vous le diront, | |
28 | est un oiseau de passage, qui jamais ne s'arrête chez nous, et qui | |
29 | traverse seulement notre ciel, très haut. Quelquefois, le laboureur, en | |
30 | novembre, arrête son attelage, parce qu'il a entendu une harmonie | |
31 | lointaine, confuse, comme un son prolongé de viole ou de mandoline.... | |
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33 | Et il écoute, en rêvant.... | |
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35 | Ce sont les sirènes qui passent là-haut, tout là-haut. Elles sont plus | |
36 | petites que des tourterelles et leurs plumes miroitantes ont toutes les | |
37 | couleurs de l'arc-en-ciel. On ne sait pas si la musique qu'elles font | |
38 | sort de leur gosier ou vient simplement de le vibration de leurs ailes. | |
39 | On croit plutôt que leur vol est harmonieux. Leur voix y ajoute une | |
40 | seule note qui, de temps en temps, scande et domine la mélodie des | |
41 | ailes.... Un jour, dit-on, comme on venait à peine de construire le | |
42 | château et sa ferme, une sirène un instant se posa sur le bouquet de | |
43 | tamaris en fleurs que les maçons plantent au bout d'une perche, sur la | |
44 | toiture, dès qu'elle est achevée. Et le château, et la ferme qui le | |
45 | touche, furent, voilà bien longtemps, baptisés du nom qu'ils portent | |
46 | encore. | |
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48 | Entre la ferme et la château, une vieille chapelle décrépite, où jadis | |
49 | on disait la messe, se dresse, étroite et longue. | |
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51 | On la dirait bâtie sur le modèle des huttes camarguaises. | |
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53 | Les huttes sont en «tape», en argile desséchée, recouvertes de roseaux, | |
54 | et la chapelle est en moellons, et recouverte de pierres plates, mais | |
55 | les deux toits ont la même forme, celle d'un bateau long, la quille en | |
56 | l'air; et sur leurs toitures, les cabanes, aussi bien que la chapelle, | |
57 | portent toutes une croix penchée, comme renversée en arrière. Toutes ces | |
58 | croix penchantes font songer au mistral éternel qui incline ainsi un peu | |
59 | tous les arbres des plaines provençales, dans la même direction. Tous | |
60 | ils gardent un peu la marque du vent maître, «magistral», à qui les | |
61 | Romains avaient élevé un temple, comme à la puissance divine, | |
62 | protectrice de ce pays qu'il balaye et assainit sans cesse.... Elles | |
63 | donnent encore, les petites croix qu'on plante ainsi à dessein penchées, | |
64 | l'impression des choses de la religion, à la fois vaincues et | |
65 | résistantes. Elles sont là, tenaces mais inclinées, jamais arrachées | |
66 | mais toujours penchantes, et elles disent le triomphe obstiné d'une foi | |
67 | sans relâche battue des vents.... |